Neutralité religieuse en entreprise : Le voile enfin levé ?
La Cour d’appel de Versailles a annulé, le 18 avril 2019, le licenciement d’une ingénieure d’une société d’informatique qui avait refusé d’enlever son voile islamique. Cet arrêt est l’aboutissement d’une longue procédure judiciaire qui a vu intervenir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour de cassation.
Dans cette affaire, une ingénieure d’études avait été licenciée pour avoir refusé d’enlever son foulard islamique lors de ses interventions auprès de la clientèle, en dépit du souhait exprimé par un client de ne plus avoir recours à elle tant qu’elle porterait le voile.
À l’appui de ce licenciement, l’employeur invoquait une règle de discrétion orale en vigueur dans l’entreprise. L’ingénieure a contesté son licenciement en justice. Les prud’hommes, puis la cour d’appel, l’avaient validé, le jugeant fondé « sur une cause réelle et sérieuse ». L’affaire est ensuite allée jusqu’à la Cour de cassation qui a rendu son arrêt le 22 novembre 2017.
Pour comprendre la portée de l’arrêt, il nous appartiendra de s’intéresser à ses deux principaux enseignements, d’abord le support juridique permettant de justifier l’interdiction de port de signes religieux (I), puis la sanction attachée à une telle interdiction ne reposant pas sur un tel support (II).
- I). Le Règlement Intérieur : support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité.
En premier lieu, l’employeur pouvait-il interdire, oralement à ses salariés le port des signes religieux lorsqu’ils sont en contact avec les clients ?
Après avoir pris soin d’interroger la CJUE (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 G4S), la Cour de cassation a reconnu, dans son arrêt du 22 novembre 2017, que l’employeur ne peut imposer une telle restriction qu’en insérant une clause de neutralité dans le règlement intérieur de l’entreprise ou une note de service soumise au même régime (Cass. soc., 22 novembre 2017, nº 13-19.855).
Et, pour être valide, celle-ci doit remplir certaines conditions, en ce qu’elle doit être :
– générale : elle doit interdire aussi bien les signes religieux que politiques ou philosophiques sur le lieu de travail ;
– ne viser que les salariés se trouvant en contact avec les clients.
La Haute juridiction fait ainsi du règlement intérieur (ou de la note de service) le support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité « contraignante » au sein de l’entreprise.
En deuxième lieu, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles vient préciser les conséquences découlant d’une interdiction de manifestation de signes religieux ne reposant par sur un règlement intérieur (II).
- II) Le Caractère discriminatoire d’une interdiction ne reposant pas sur le Règlement Intérieur
Sans surprise, la Cour d’appel de Versailles a conclu à la nullité du licenciement en suivant le raisonnement de la Cour de cassation.
En effet, résultant d’une règle non écrite, l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients constituait une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses. Une discrimination directe que seule une exigence essentielle et déterminante résultant de la nature d’une activité professionnelle et des conditions de son exercice aurait été à même de justifier.
Elle ne saurait, comme c’était le cas en l’espèce, « couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ».
Ces termes, repris par la cour d’appel, correspondent à ce qu’avait répondu, au regard de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, la CJUE à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation. « Il en découle que le licenciement, qui repose sur un motif lié à l’expression par la salariée de ses convictions religieuses, est discriminatoire et se trouve frappé de nullité », a tranché la Cour d’appel de Versailles.